Biennale du transmédia 2025 : Transmédialité toxique : vers un réel fictionnalisé ?
4-4 déc. 2025
Université de Toulon - Toulon (France)
Sous ses apparences de simple stratégie éditoriale visant à capter des publics variés à travers une pluralité de supports médiatiques, la transmédialité participe en réalité d’une profonde mutation culturelle aux implications sociales majeures. Elle reconfigure nos rapports à la politique, à l’art, au divertissement, en définitive à la perception même du réel. Un projet transmédiatique ne se limite pas seulement, en effet, à disséminer un contenu imaginaire sur plusieurs supports interconnectés, il inscrit la conscience du public dans une zone de tension permanente entre réalité et imaginaire, brouillant sans cesse les frontières entre ces deux dimensions (Jenkins 2013). L’entrée dans un univers imaginaire passe toujours par la médiation d’un roman, d’une bande dessinée, d’un film ou d’une série ; cependant, une fois l’immersion amorcée, l’expérience imaginaire se prolonge souvent dans la réalité. Jeux en réalité alternée (ARG), jeux de rôles grandeur nature (LARP), parcs d’attraction thématique, achat de produits dérivés ou mobilisation dans l’arène politique réelle de personnages fictionnels « engagés » (Besson 2021) témoignent de cette porosité croissante entre les sphères imaginaire et réelle.
Dans ce type d’expérience fictionnelle, le rapport entre l’imaginaire et le réel ne relève plus d’une simple continuité analogique, mais d’une véritable contamination ontologique. La fiction ne se contente plus d’imiter la réalité (continuité analogique), elle abolit la frontière entre les deux, créant un espace fluide où l’imaginaire et le réel s’interpénètrent (contamination ontologique). Le public se retrouve alors plongé dans un entre-deux instable, peuplé de figures hybrides qui circulent librement du réel à l’imaginaire et inversement – un espace liminal qui problématise radicalement le statut de la fiction.
Or, ce flou ontologique, cette porosité entre l’imaginaire et le réel, ces interférences entre scénarios fictionnels et praxis collective, ne risquent-ils pas de perturber la perception sociale de la réalité ? Sauf à tenir la fiction pour une activité symbolique marginale sans incidence sur le réel, il faut reconnaître que le déséquilibre imaginaire sur lequel reposent les fictions transmédiatiques est susceptible de jouer un rôle dans le trouble profond qui affecte le rapport de la société actuelle à la réalité. Ces hybridations entre le réel et l'imaginaire ne contribuent-elles pas, en effet, à rendre notre société plus perméable aux fake news et aux théories du complot ? Ne participent-elles pas à légitimer les organisations criminelles auprès des franges les plus vulnérables de la société, voire à banaliser le passage à l’acte, comme le dénoncent certains magistrats italiens à propos de l’univers imaginaire de Gomorra ? Ne favorisent-elles pas des grilles de lecture biaisées de l’actualité, à l’image de cette rhétorique politique de la « mexicanisation », qui assimile la criminalité organisée en France à l’imaginaire des séries télévisées sur les cartels de drogue latino-américains ?
C’est cette hypothèse – celle d’un trouble social induit par la porosité croissante entre fiction et réalité – qui sera au cœur des échanges lors de la troisième édition de la « Biennale du transmédia » de Toulon. À rebours d’une vision « fan-friendly » ou « enchantée » du transmédia, cette journée d’études entend repenser ce phénomène éditorial à la lumière de ses « dérives » sociales afin de proposer une nouvelle lecture de la crise culturelle profonde que traverse notre monde contemporain.
Discipline scientifique :
Sciences de l'Homme et Société - Sciences de l'information et de la communication
Lieu de la conférence