Refonder la psychanalyse dans la philosophie de l'esprit et les sciences cognitives
10-10 oct. 2025
Université de Rennes
Campus de Beaulieu
UFR de Philosophie (Bâtiment 32B)
Salle Ortigues - Rennes (France)
Freud invente avec la psychanalyse un type de cure qui vise à soulager des personnes qui souffrent de différentes formes de mal-être. Cette invention se situe historiquement alors que la psychologie scientifique vient à peine de naître et que sa méthodologie reste disputée entre introspection et volonté d’obtenir des résultats indépendants de l’introspection. La neurologie ou neurophysiologie en est aussi à ses tout premiers débuts. En l’absence d’un cadre systématique pour la connaissance psychologique, Freud élabore sa théorie en créant de toutes pièces des instances psychologiques et présente des processus psychologiques qui s’appuient sur ces instances. Ce sont en particulier les topiques et l’hypothèse développementale que constitue le complexe d’Œdipe. Dans la deuxième moitié du 20° siècle, la psychanalyse s’est surtout inspirée du structuralisme. Mais le programme structuraliste a aujourd’hui vécu et il ne joue pratiquement plus aucun rôle dans les sciences du langage et les sciences humaines. Il en résulte que la psychanalyse se trouve dans une situation paradoxale : elle se présente comme une méthode thérapeutique visant à avoir des effets psychologiques, mais elle ne repose et ne fait fond sur aucune théorie générale de la psychologie qui pourrait lui servir d’arrière-plan.
Cette situation est extrêmement dommageable. La cure psychanalytique doit s’inscrire dans le cadre d’une théorie générale de la psyché humaine dans la mesure où elle décrit des états psychologiques, des traits psychologiques et des processus psychologiques, aussi bien ceux qui conduisent à différentes formes de mal-être, que ceux qui sont en jeu dans une cure. En refusant de s’inscrire dans les paradigmes centraux des sciences psychologiques contemporaines, elle se rend incapable de répondre à ceux qui affirment que ses concepts sont dépassés, ne décrivent aucun processus réel et n’ont donc aucune place dans la compréhension la plus contemporaine de la psychologie, et donc que sa prétendue efficacité est illusoire.
Ces deux défis doivent être relevés et s’ils peuvent l’être, ils le seront ensemble. La première tâche, et la plus importante à nos yeux, est de chercher à inscrire l’ensemble des éléments théoriques de la psychanalyse et en particulier ceux qui concernent la cure dans le cadre de la psychologie contemporaine.
Or, à partir de la fin des années 50, les sciences cognitives et la philosophie de l’esprit introduisent une révolution majeure dans l’approche des phénomènes psychologiques en renonçant au béhaviorisme, en insistant au contraire sur la dimension représentationnelle des états psychologiques et en concevant les processus psychologiques comme manipulant de l’information.
Contrairement à ce qui est parfois soutenu, rien ne suggère a priori qu’on ne puisse inscrire la psychanalyse dans ce cadre méthodologique et théorique général.
Pour comprendre le sens de cette inscription, il faut commencer par présenter certaines thèses qui sont au centre de ces domaines de recherches. J’en présente deux qui paraissent particulièrement incontournables.
La première thèse est ce qu’on appelle le fonctionnalisme du mental. Elle est tout à fait centrale en philosophie de l’esprit et a été introduite dans les années 70 par Putnam et Lewis. Elle soutient qu’il faut caractériser les états mentaux par leurs interactions causales avec des stimuli ou objets externes, d’autres états mentaux et des comportements. La thèse du fonctionnalisme du mental est aussi adoptée par l’ensemble des sciences cognitives qui cherchent à identifier les processus causaux qui permettent de décrire le fonctionnement des différentes facultés humaines et le rôle des états mentaux conscients mais aussi tous les processus cognitifs qui ne sont pas accessibles à la conscience mais qui contribuent toutefois à expliquer le fonctionnement de l’esprit, des différentes facultés et les rôles des différents états mentaux.
La seconde thèse est le représentationnalisme. Selon cette thèse, il faut non seulement reconnaître que les états mentaux sont intentionnels au sens de Brentano, mais il faut en outre comprendre l’intentionnalité du mental en termes de représentations mentales. Cette thèse est centrale depuis les années 50 aussi bien en philosophie de l’esprit que dans le cadre des sciences cognitives qui reposent dans leur presque totalité sur l’hypothèse selon laquelle l’esprit humain manipule des représentations mentales.
Ces deux thèses—le fonctionnalisme et le représentationnalisme—sont compatibles. Surtout, le fonctionnalisme et le représentationnalisme n’ont rien a priori qui devrait s’opposer avec la théorie psychanalytique puisque celle-ci vise à décrire des états psychiques dont on affirme qu’ils sont dotés d’un contenu, et les relations causales que ces états psychiques entretiennent. Par exemple, une affirmation selon laquelle il existe des désirs inconscients qui apparaissent comme le produit de pulsions ou d’un refoulement, et qui seraient capables de contribuer à déterminer nos actions n’a rien d’incompatible avec le fonctionnalisme et le représentationnalisme.
L’idée générale selon laquelle on devrait essayer de formuler les thèses de la psychanalyse dans ce cadre général aura de nombreux intérêts. Elle posera un certain nombre de questions à la théorie psychanalytique, questions qui suggéreront elles-mêmes des programmes de recherche et de réflexion. Ces questions permettront de reformuler les thèses de la théorie psychanalytique et ainsi de les préciser ou enrichir par des travaux contemporains en philosophie et en psychologie, voir éventuellement de les réviser de façon plus ou moins importantes, voire d’en abandonner certaines. De ce point de vue, il est possible d’aborder ce programme général de recherche comme une façon d’interroger la validité de la psychanalyse, interrogation qui pourra prendre la forme d’une précision et validation de certaines thèses, d’une réforme ou d’un rejet.
La reformulation ou l’inscription de la psychanalyse devra passer en revue toutes les thèses de la théorie psychanalytique ; elle permettra éventuellement d’apporter aussi un nouvel éclairage à des débats internes à la psychanalyse.
En particulier, il semble qu’il faudra a minima s’intéresser aux questions suivantes :
1°/ Peut-on rendre compte des topiques freudiennes dans le cadre fonctionnaliste ?
2°/ Comment décrire les processus à l’œuvre dans la cure ?
3°/ Comment rendre compte de l’hypothèse du complexe d’Œdipe qui est si centrale ? Quel est le but ou l’horizon d’une cure ?
4°/ Que faire de la nosologie freudienne ?
En résumé,
La proposition que la journée voudrait mettre sur la table est simple. La philosophie de l’esprit et les sciences cognitives reposent largement sur deux thèses—le fonctionnalisme et le représentationnalisme—que la théorie psychanalytique devrait adopter. Ce faisant, elle serait en mesure de réélaborer de façon plus convaincante ses concepts et ses thèses. Elle pourrait en outre bénéficier de l’énorme réservoir de réflexions, hypothèses, et résultats qui ont été élaborées dans ce cadre, s’y confronter et en tirer parti. Ainsi, s’interrogeant à nouveau frais dans ce cadre, elle pourrait à la fois se réinventer, s’approfondir et arguer de son efficacité.
Discipline scientifique :
Sciences de l'Homme et Société - Philosophie
Lieu de la conférence