Genre, pouvoir, discours

9-10 mai 2024
Université Hassan II de Casablanca - Mohammedia (Maroc)
Entre nord et sud, la question du genre ne connaît pas les mêmes cheminements. Divers facteurs (historique, politique, culturel et social) se conjuguent pour instaurer des disparités en matière de révision des liens de pouvoir et de la genèse des discours sur le genre. La combinaison de ces facteurs et les différences qu'elle engendre entre nord et sud n'empêche pas pour autant de déceler la persistance des formes de pouvoir patriarcal de part et d'autre. Les divers procédés et modes de construction du féminin et du masculin continuent à servir de fondements à la perpétuation de la hiérarchisation des sexes au niveau des trois sphères : domestique, sociale et politique. La coexistence entre valeurs hiérarchiques et valeurs égalitaristes, entre pratiques discriminatoires et pratiques égalitaires perdurent et esquissent de fines frontières entre patriarcalisation, dépatriarcalisation et (re)patriarcalisation des identités et des rapports de genre (Macé 2015). En Europe néolibérale, des procédés de constitution hiérarchique des différences de genre œuvrent pour pérenniser des subalternités multiples, des dominations diverses qui par leur imbrication produisent des catégories stigmatisées. En Afrique, les normes sociales et culturelles traditionnelles notamment dans le milieu familial (les mariages précoces, les inégalités en héritage, l'excision, la non-scolarisation des filles, l'intégrité physique restreinte, la prévalence du masculin, l'accès réduit aux ressources et aux biens et la limitation des libertés) continuent à jouer un rôle déterminant dans la perpétuation des inégalités liées au genre. Ces disparités prennent une plus grande ampleur lors des guerres inter-ethniques et dans les discours et les pratiques liées à la montée du radicalisme. Qu'il soit constitué des arrangements sociaux de la différence sexuée (Scott, 1986), qu'il soit une construction historique, culturelle et sociale du sexe (Fougeyrollas-Schwebel et al., 2003) ou composé d'actes performatifs (Butler, 2005; West, Zimmerman, 1987), le genre et les questions qui lui sont attachées continuent à animer les débats les plus fougueux que ce soit en Europe ou en Afrique. En plus d'être une des grandes questions qui traversent les sciences humaines et sociales et jouent un rôle fondamental dans la compréhension des sociétés humaines, il est devenu une question politique épineuse, dans laquelle intervient l'action publique, ce qui rend la mise en examen des imbrications genre, pouvoir, discours des plus judicieux. Il importe particulièrement de focaliser le questionnement sur la manière dont les différences et les dominations s'élaborent en discours vu que la faculté dichotomique de « la différence des sexes » est la clé de la domination. Le discours est pris ici comme un ensemble de formes langagières élaborées et circulant dans des contextes sociaux et dans ses différents domaines (politique, médiatique, juridique, littéraire, religieux, filmique etc). Mais considéré aussi dans sa dimension symbolique d'établissement de la « normalité » et dans sa visée performative. Faut-il rappeler que les discours sur le genre en circulation dans les institutions de socialisation des individus participent de la répartition des pouvoirs puisque le genre est « une manière première de signifier les rapports de pouvoir » (Scott, 1988) ? En effet, examiner le pouvoir sous le prisme du genre revient inéluctablement à interroger « l'ordre sexué » (Sénac-Slawinski, 2007) qui génère domination et hiérarchie. Le discours sur le genre façonne les convictions, les comportements et les représentations collectives. En analysant comment le genre est abordé dans tous discours confondus, nous pouvons reconnaître le rôle central qu'ils détiennent dans la construction et la déconstruction des normes de genre. Ce sont les normes, le langage et les jeux de pouvoir qui modèlent le « sexe » mâle et femelle (Butler 2005a : 15 ; 2005b : 67-70). En révélant justement les normes culturelles et sociales en matière de genre, les discours peuvent renforcer les attentes traditionnelles et les stéréotypes et partant les hiérarchies existantes ou, au contraire, les remettre en question. C'est pour cela que le colloque aspire à ne pas jeter la lumière uniquement sur les structures qui produisent la hiérarchie des sexes mais également sur les modes d'action des individus, leur discours et contre-discours circulant en Europe et en Afrique. Il mettra en accent les incessantes négociations et les interventions des différents acteurs pour procéder à une remise en question des schémas de pensée préexistants et abolir les discriminations. D'où l'importance de saisir les représentations dominantes, entérinées et consacrées dans des productions discursives en repérant les idéologies, les stratégies et les rapports de force en jeu, permettant ainsi d'affiner la contextualisation des discours. La question du sujet et de la subjectivité dans le discours (Pêcheux 1975 ; 1990), tous discours confondus, nous mènera à la construction discursive des positions de sujets et des subjectivités légitimes ainsi qu'aux portées et aux stratégies en vigueur dans les énoncés des actrices et des acteurs. L'intérêt d'étudier la situation des locuteurs/trices en termes d'identité, d'éthos et de positionnement, etc., tient de l'importance des paramètres contextuels et des points de vue énonciatifs. Le colloque ambitionne de réfléchir dans une perspective pluridisciplinaire en tentant de tracer la conjugaison des facteurs qui contribuent à inscrire les rapports de genre et de pouvoir dans le contexte de culture et de discours en reconfiguration en Europe et en Afrique, sans pour autant adopter une perspective comparative. Les chercheur.es, toutes disciplines confondues, auront l'occasion de partager leurs travaux, sur la question, en traçant les interactions entre les structures du genre et celles du pouvoir, leurs interdépendances et leur matérialisation discursive. Le colloque aspire plus spécifiquement à explorer les axes suivants :  Production discursive des identités et mobilisation des catégories de genre ;  Stratégies de légitimation ou délégitimation des hiérarchies entre les sexes ;  Stratégies discursives de dé-ritualisation des féminités et des masculinités ;  Savoirs situés, performativité ;  Dissonance et réinvention du langage sur le genre ;  Espace public, espace privé : de l'exclusion à l'agentivité ;  Genre, pouvoir et technodiscursivité (corps, photographies, voix, vidéos, œuvres artistiques, etc.) ;  Stratégies de résistance et d'offensive contre les études de genre.
Discipline scientifique :  Sciences de l'Homme et Société

Lieu de la conférence
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