Mémoire(s) missionnaire(s), mémoire(s) de la mission (XVIe-XXe siècles)

7-8 nov. 2022
Centre des Colloques, salle 3.01 Campus Condorcet - Aubervilliers (France)

https://memoires.sciencesconf.org

Les ordres religieux ont pris eux-mêmes en charge la construction de leur propre mémoire, et ce dès les débuts de l’évangélisation au XVIe siècle. Ce processus participe de la construction des identités missionnaires et du prestige des ordres religieux, attachés à valoriser les grandes figures, comme les fondateurs des missions. François Xavier bénéficie ainsi d’un traitement particulier, et ce dès sa mort en 1552. La mémoire du fondateur des missions jésuites en Asie se construit et évolue via les nombreuses vies de saints et chroniques consacrées aux actions de la Compagnie de Jésus de l’Inde jusqu’au Japon. Les premières Historia rédigées par ses successeurs directs comme Alessandro Valignano s’inscrivent dans la continuité de l’action de François Xavier, considéré comme un saint avant même sa canonisation en 1622, et entendent tirer parti de sa gloire qui rejaillit sur les missionnaires ; les biographies mettent en avant certaines particularités de son action comme El principe del mar, Francisco Javier de Lorenzo Ortiz (plusieurs éditions au XVIIe siècle) qui met l’accent sur les relations entre le saint et les marins en Asie dont il est institué protecteur. La mémoire consacrée à Xavier ne cesse d’évoluer et d’être reconstruite par ses compagnons jésuites en fonction du contexte, mais aussi de leurs objectifs du moment. Francisco de Sousa rédige son Oriente Conquistado (1710) lorsque la puissance portugaise en Asie est largement entamée par les autres puissances européennes. Son récit, qui débute par l’arrivée du saint en Inde avant de retracer sa biographie, vise à montrer que l’action de la Compagnie de Jésus depuis François Xavier sert de ciment à l’ensemble de l’espace asiatique : ce sont les jésuites qui ont réussi par leur œuvre missionnaire à mettre en relation ces territoires et bâtir cet « Orient conquis » et que le christianisme permet de relier, au sein de l’Église, l’Europe et l’Asie. Enfin, la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient une nouvelle multiplication des biographies consacrées à l’apôtre des Indes, dans la lignée de la reprise des missions au Japon, longtemps resté fermé au christianisme depuis les persécutions du XVIIe siècle : on a là la reprise d’une « mémoire brisée » de la mission du Japon et une volonté de s’inscrire dans une continuité historique, fût-elle reconstruite artificiellement, car ce sont bien les Missions Étrangères de Paris, et non la Compagnie de Jésus, qui sont à l’origine du renouveau de la mission japonaise au XIXe siècle. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres des processus de réutilisation de la mémoire des anciennes missions par les nouvelles, voire d’entretien ou de réinterprétation de la mémoire des missions disparues, autant de phénomènes que ce colloque souhaite interroger. Quels textes sont réutilisés ? Quelles sont les sources utilisées pour les différents réemplois ? Quelles relectures sont faites des missions et comment se construisent ces mémoires missionnaires dans une longue durée ? Dans quels lieux écrit-on l'histoire d'une mission spécifique aux différentes époques ? De Rome, de la mission elle-même, depuis d'autres terrains missionnaires ? Quel est le rôle de l'héritage matériel de la mission – monuments, œuvres d'art, mais aussi collections de manuscrits dispersées aux quatre coins du monde ou amassées dans des capitales européennes comme Lisbonne, Rome ou Paris – comme sources pour écrire cette histoire ? Ces questions nous amènent à repenser la géographie ainsi que la chronologie de la production de cette mémoire. Ce colloque entend ainsi analyser les mémoires missionnaires du XVIe au XXe siècle et dans une perspective comparative entre les différents terrains missionnaires et entre les divers ordres religieux. La Compagnie de Jésus est sans conteste l’ordre qui a le plus organisé sa propre mémoire, et ce dès sa création. Le processus est relancé au XIXe siècle avec l’instauration de la « nouvelle » Compagnie et une volonté clairement affichée de renouer le fil de l’histoire de l’ordre, interrompu par sa suppression. Cette (re)construction de la mémoire de la Compagnie passe par un travail important sur les sources (édition des Monumenta notamment), mais aussi la constitution et la réorganisation des archives. Mais qu’en est-il des autres ordres religieux ? Utilisent-ils des procédés différents de la Compagnie de Jésus ? Quels sont leurs objectifs dans la construction de leur propre mémoire missionnaire, parfois concurrente de celle des jésuites ? Et qu’en est-il des missions protestantes, notamment lorsqu’elles sont présentes de manière concomitante avec des missions catholiques sur un terrain ou lorsqu’elles prennent le relais de ces dernières ? Faut-il effacer cette mémoire ou bien la réutiliser ? Enfin, ce colloque souhaite interroger les différentes modalités de construction des mémoires missionnaires dans la durée, que ce soit par la constitution d’archives ou de bibliothèques, par le biais de la muséographie ou encore du patrimoine matériel laissé par les missions.
Discipline scientifique :  Histoire - Littératures - Religions

Lieu de la conférence
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